Le magnétisme animal: de Mesmer à l'hypnose moderne (2025)
Le magnétisme animal, théorie développée par Franz Anton Mesmer au XVIIIe siècle, représente l'une des premières tentatives d'explication rationnelle des phénomènes de transe et de guérison par suggestion. Cette pratique controversée, qui postulait l'existence d'un fluide universel circulant entre tous les êtres vivants, a été à la fois adulée et vilipendée, avant de devenir l'ancêtre direct de l'hypnose moderne. Cet article explore l'histoire fascinante du mesmérisme, ses fondements théoriques, ses techniques thérapeutiques et son influence durable sur la médecine et la psychologie occidentales.
Qui était Franz Anton Mesmer?
Franz Anton Mesmer, né le 23 mai 1734 à Iznang en Souabe (Allemagne) et décédé le 5 mars 1815 à Meersburg, était un médecin allemand qui s'intéressait également à l'astronomie. Après avoir étudié la philosophie, la théologie et le droit, il se tourna finalement vers la médecine et obtint son doctorat à l'Université de Vienne en 1766. Sa thèse, intitulée "De l'influence des planètes sur le corps humain", empruntait largement aux travaux du médecin anglais Richard Mead et s'inspirait des théories de Paracelse.
En 1775, Mesmer révisa sa théorie de la "gravitation animale" pour développer celle du "magnétisme animal", selon laquelle un fluide invisible dans le corps humain agirait conformément aux lois du magnétisme. Suite à un échec thérapeutique retentissant à Vienne avec la pianiste aveugle Maria Theresia von Paradis, et face à l'hostilité de ses confrères qui le considéraient comme un charlatan, Mesmer quitta l'Autriche pour s'installer à Paris en 1777-1778. C'est dans la capitale française qu'il allait connaître à la fois son plus grand succès et sa chute.
Les fondements théoriques du magnétisme animal
En 1779, Mesmer publia son "Mémoire sur la découverte du magnétisme animal", ouvrage dans lequel il exposait les principes fondamentaux de sa théorie. Le magnétisme animal reposait sur plusieurs principes clés:
Le fluide universel
Selon Mesmer, un fluide physique subtil emplissait l'univers, servant d'intermédiaire entre l'homme, la terre et les corps célestes, ainsi qu'entre les hommes eux-mêmes. Ce fluide, qu'il appelait "magnétisme animal", pouvait être manipulé et dirigé par le magnétiseur pour produire des effets thérapeutiques.
La théorie de la maladie et de la guérison
Pour Mesmer, la maladie résultait d'une mauvaise répartition du fluide magnétique dans le corps humain. La guérison consistait donc à restaurer l'équilibre perdu de ce fluide vital. Il considérait que tout homme possédait la capacité de guérir son prochain grâce à ce fluide naturel que le magnétiseur pouvait accumuler et retransmettre.
Une approche unitaire de l'homme et de l'univers
Le magnétisme animal représentait également pour Mesmer une théorie unitaire permettant de décrire l'intrication de l'homme et de l'univers. Cette vision s'inscrivait dans la continuité des théories cosmologiques du XVIIe siècle, inspirées par Paracelse, qui présentaient la santé comme un état d'harmonie entre le microcosme individuel et le macrocosme céleste.
Les techniques thérapeutiques de Mesmer
Mesmer développa plusieurs méthodes pour mettre en œuvre ses théories et traiter ses patients. Ces techniques spectaculaires contribuèrent grandement à sa renommée, mais aussi aux controverses qui l'entouraient.
Les passes magnétiques
Mesmer utilisait ce qu'on appelait des "passes mesmériennes", mouvements réalisés avec les mains ou une baguette de fer au-dessus du corps du patient, pour canaliser et diriger le prétendu fluide magnétique. Ces passes étaient effectuées sur les parties du corps que le patient considérait comme malades.
Le célèbre baquet magnétique
Face à l'afflux croissant de patients, Mesmer introduisit en 1780 le traitement collectif dit du "baquet". Il s'agissait d'une caisse circulaire en bois de chêne, dont le couvercle était percé de trous d'où sortaient des tiges métalliques que les patients appliquaient sur leurs parties malades. Les patients, reliés entre eux par des cordes, formaient une chaîne pour faciliter la circulation du fluide. Au fond du baquet, des bouteilles remplies étaient disposées de façon symétrique sur une couche de verre pilé et de limaille de fer.
Les crises magnétiques
Les séances de magnétisme provoquaient souvent chez les patients des phénomènes de "crises magnétiques", caractérisées par des convulsions, des rires hystériques, des évanouissements et divers comportements extatiques. Mesmer considérait ces crises comme thérapeutiques, car elles indiqueraient que le fluide surmontait les obstacles à sa circulation dans le corps du malade. Pour les cas les plus violents, une "chambre des crises" matelassée était prévue.
La mise en scène thérapeutique
Vêtu d'un habit de soie lilas, Mesmer orchestrait ces séances dans une ambiance soigneusement étudiée, souvent accompagnée de musique. Excellent musicien, il jouait parfois lui-même du piano-forte ou du glassharmonica (harmonica de verre inventé par Benjamin Franklin). Cette théâtralisation contribuait à l'efficacité du traitement tout en alimentant les critiques de ses détracteurs.
La controverse et les commissions royales
Le succès de Mesmer à Paris fut immense. Des personnes de toutes conditions affluaient chez lui, et sa pratique lui rapportait des sommes considérables. Cependant, sa méthode suscita rapidement la méfiance du corps médical établi.
L'opposition de la Faculté de Médecine
Mesmer fut vivement attaqué par la Faculté de Médecine qui publia des pamphlets et des articles critiques dans le "Journal de médecine" et la "Gazette de Santé". Ses tentatives pour se faire reconnaître par l'Académie des sciences, la Société royale de Médecine et la Faculté de médecine de l'université de Paris restèrent vaines.
Les commissions d'enquête de Louis XVI
En 1784, le roi Louis XVI nomma deux commissions pour étudier scientifiquement le magnétisme animal. La première était composée de membres de l'Académie royale des sciences, dont le chimiste Antoine Lavoisier, l'astronome Jean Sylvain Bailly, et l'ambassadeur américain Benjamin Franklin. La seconde était formée de membres de la Société royale de Médecine.
Les conclusions défavorables
Les commissions étudièrent non pas directement les méthodes de Mesmer, qui refusa de participer, mais celles de son disciple Charles Deslon. Après une série d'expériences, elles conclurent que les effets observés étaient dus à l'imagination des patients et non à l'existence d'un fluide magnétique. Dans le rapport officiel, Bailly déclara que "l'imagination sans magnétisme produit des convulsions [...] le magnétisme sans imagination ne produit rien". Un rapport secret adressé au roi soulignait également les dangers moraux de ces pratiques, évoquant la proximité physique entre le magnétiseur et ses patientes.
L'évolution post-mesmérienne: vers l'hypnose
Si le mesmérisme original déclina après les rapports défavorables des commissions royales, les idées de Mesmer continuèrent à évoluer et à se transformer, donnant naissance à plusieurs courants et préparant l'avènement de l'hypnose moderne.
Les trois principaux courants du magnétisme post-mesmérien
Après le départ de Mesmer de Paris en 1785, trois courants principaux se développèrent:
1. Les mesmériens proprement dits, qui conservaient l'approche physicaliste et matérialiste originelle, mettant l'accent sur la circulation du fluide.
2. Les psychofluidistes, représentés notamment par le marquis de Puységur, qui considéraient la volonté comme l'agent véritable de l'action magnétique, tout en gardant l'hypothèse d'un fluide comme vecteur de cette volonté.
3. Les spiritualistes, liés à une branche mystique de la franc-maçonnerie, qui expliquaient les phénomènes magnétiques par un contact avec des entités spirituelles.
Plus tard émergea un quatrième courant, celui des imaginationnistes, pour qui ni la volonté du magnétiseur, ni un quelconque fluide n'intervenaient, mais plutôt les puissances internes du sujet, l'imagination.
La découverte du somnambulisme provoqué
En mai 1784, le marquis de Puységur, disciple de Mesmer, fit une découverte cruciale. En magnétisant un jeune paysan nommé Victor Race, il constata qu'au lieu des convulsions habituelles, celui-ci tombait dans un état de sommeil calme et profond, tout en conservant une activité mentale intense. Puységur appela cet état le "somnambulisme provoqué" ou "sommeil magnétique". Durant cet état, le sujet semblait capable de capter les pensées du magnétiseur, et présentait au réveil une amnésie de ce qui s'était passé.
De Mesmer à l'hypnose moderne
En 1843, le médecin écossais James Braid proposa le terme "hypnotisme" pour désigner une technique dérivée du magnétisme animal. Le mot "mesmérisme" devint progressivement synonyme d'"hypnose". Des médecins comme l'abbé Faria, Alexandre Bertrand et James Braid contribuèrent à transformer le magnétisme animal en une pratique plus scientifique, rejetant l'hypothèse du fluide et explorant les mécanismes psychologiques à l'œuvre.
L'héritage du magnétisme animal dans la médecine et la psychologie
Bien que considéré aujourd'hui comme une pseudo-science, le magnétisme animal a exercé une influence considérable sur l'évolution de la médecine et de la psychologie occidentales.
Influence sur le développement de l'hypnose thérapeutique
L'hypnose moderne, technique thérapeutique reconnue par la médecine conventionnelle, trouve ses racines directes dans le magnétisme animal. Les recherches sur l'état de transe initiées par Mesmer et poursuivies par ses successeurs ont permis de développer des applications légitimes de l'hypnotisme. Dès le XIXe siècle, des médecins comme John Elliotson et James Esdaile utilisèrent des techniques dérivées du magnétisme animal pour pratiquer des anesthésies lors d'opérations chirurgicales.
Contribution à la compréhension de l'inconscient
Les phénomènes observés lors du "somnambulisme provoqué" découvert par Puységur ont contribué à la conceptualisation de l'inconscient en psychologie. Les capacités apparemment extraordinaires démontrées par les sujets magnétisés suggéraient l'existence de possibilités psychiques habituellement inaccessibles à la conscience ordinaire.
Un précurseur des psychothérapies modernes
Au-delà de l'hypnose, le magnétisme animal peut être considéré comme un précurseur de nombreuses approches psychothérapeutiques. La relation particulière établie entre le magnétiseur et son patient, l'importance accordée à la suggestion et à l'imagination, ainsi que l'idée d'une force curative intérieure, sont des concepts qui trouveront des échos dans diverses thérapies du XXe siècle.
Le magnétisme animal représente un chapitre fascinant dans l'histoire de la médecine et des idées. Bien que les théories de Mesmer sur le fluide magnétique universel aient été réfutées par la science moderne, son approche thérapeutique a paradoxalement ouvert la voie à d'importantes avancées médicales et psychologiques.
Franz Anton Mesmer, figure controversée et complexe, incarne parfaitement la transition entre deux époques: d'un côté, la foi des Lumières dans la capacité de la raison à décoder les lois de la nature, de l'autre, la fascination du Romantisme pour le surnaturel et l'irrationnel. Si sa théorie du fluide magnétique s'est révélée erronée, Mesmer avait néanmoins intuitivement perçu l'importance des facteurs psychologiques dans la guérison et le pouvoir thérapeutique de la relation médecin-patient.
Aujourd'hui, alors que la médecine redécouvre l'importance de l'approche holistique et des interactions entre le corps et l'esprit, l'héritage de Mesmer continue à résonner, nous rappelant que l'histoire de la médecine progresse souvent par des chemins inattendus, transformant parfois ce qui était considéré comme des erreurs en précieuses intuitions.